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Introduction


"Je voudrais un livre sur les Echecs. Un livre sur les ouvertures. Sur la défense Sicilienne, par exemple. Pourriez-vous m'indiquer un livre sur la défense Sicilienne ?"

 

Ce refrain est bien connu. La plupart des joueurs d'échecs, débutants ou confirmés, se demandent, avec plus ou moins d'inquiétude, de quelle façon il faut commencer une partie, quelles sont les fautes de principe, ou les fautes tactiques à éviter. Cela est certes important, mais après ? Le milieu de partie, la stratégie générale ?

 

 "Oui, peut-être ! Avez-vous un bon livre à me conseiller sur la conduite de la partie ?" Dès qu'il a été pourvu à ce besoin compréhensible, l'amateur se déclare généralement satisfait...

Proposons-lui cependant de compléter sa bibliothèque par un livre sur les finales.

 "Les finales? Bah ! Je n'en joue presque jamais. D'ailleurs, cela ne m'intéresse pas, c'est beaucoup trop compliqué... Et c'est un domaine trop vaste, comment pouvez-vous prévoir quelle position vous aurez après quatre ou cinq heures de jeu ? De toute façon, il n'y a, semble-t-il, pas de livre en français sur les finales."

 

Que répondre à cette série d'arguments ?


En premier lieu, ceci : plus un joueur progressera, plus il devra jouer de fins de parties. Il sera appelé, en effet, à rencontrer des adversaires de force croissante jusqu'au stade où, les différences de niveau s'estompant, les protagonistes auront plus de mal à se départager ; il faudra alors, bien souvent, recourir aux "prolongations". En outre, à moins d'exécuter proprement le joueur en face, il est impossible de mener une attaque, de maintenir une pression quelconque, sans un minimum de clairvoyance des situations simplifiées auxquelles cette attaque, cette pression peuvent aboutir. Il arrive souvent qu'un maître ou un grand-maître, placé devant la possibilité de gagner un pion, ou la "qualité" (obtenir une Tour contre un Cavalier, ou une Tour contre un Fou), refuse, et préfère conserver une forte initiative à égalité de matériel, car il juge trop faibles les chances de réaliser en finale ce pion ou cette qualité. A l'inverse, le joueur moins expérimenté se jettera sur le butin, pour ensuite constater tristement que la partie est nulle, malgré ce déséquilibre matériel. De fait, il est illusoire d'espérer devenir un fort joueur sans une solide, et large connaissance des finales.


Certes, la difficulté du sujet, et l'ampleur du travail nécessaire pour le maîtriser, même partiellement, sont incontestables. Je pense qu'il serait possible, par exemple, de consacrer des mois, voire des années de sa vie, à la "simple" finale TOUR et PION contre TOUR, sans épuiser la question. Au pire, celui qui se soumettrait à cette expérience verrait-il marcher des Tours dans la rue, accompagnées de Pions courant et aboyant... Cependant, si l'amateur consent à fournir l'effort d'étudier en détail quelques positions-clés, il bénéficiera d'un "effet d'entraînement" qui le fera mieux traiter toute une gamme de situations plus ou moins similaires. J'ai personnellement expérimenté cela, par l'étude de la finale déjà mentionnée (stoppée juste avant l'apparition de visions et spectres divers) qui m'a considérablement aidé dans la compréhension de toutes les finales de Tours.


Il faut également observer que, dans cette phase de la partie d'Echecs, les erreurs, généralement, ne pardonnent pas. Dans l'ouverture, la position possède encore un certain "coefficient de solidité" qui excuse bien des fantaisies. J'imagine fort bien qu'un champion du monde en visite en France, après un excellent repas comme on sait les préparer ici, accepte le pari suivant : jouer une partie rapide (5 minutes chacun) contre un bon joueur français, en commençant par 1. f3?, 2. Rf2? et 3. g4??, c'est-à-dire les trois coups les plus stupides que l'on puisse imaginer. Malgré ce handicap, je ne serais guère rassuré sur l'issue de la partie. Si par contre il accepte, toujours en cinq minutes, de faire volontairement trois coups faibles, mais en fin de partie cette fois, alors je relève le défi ! Une seule faute, du reste, pourrait suffire, si le moment est bien choisi. En finale, on ne conteste plus, on réfute ; on ne discute plus, on punit ! Si dans l'ouverture ou le milieu de partie, le choix de tel ou tel coup est parfois une "question de style", ce genre de propos est tout à fait caduc en finale, où règne essentiellement la rigueur. Aux Echecs, on peut de temps en temps "bluffer", en jouant une suite de coups aventureux, de nature à désarçonner l'adversaire. Mais ici, on retombe plus difficilement sur ses pieds. C'est ce qui rend notre sujet fascinant. Ou, certains le penseront à tort, rébarbatif.


Car l'aridité du sol ne fait que dissimuler les pépites. La recherche de l'exactitude ne refroidit pas le jeu, elle le régénère : l'intrusion d'un peu de sens mathématique dans l'univers plus complexe des Echecs ne saurait être nuisible. Et les grands finalistes font preuve d'autant de créativité, d'imagination et de brillant sens tactique que les maîtres de l'attaque. Une part de cette créativité dépasse même le cadre d'une partie d'Echecs normale, en temps limité : certaines finales pratiques constituent le point de départ de recherches approfondies pouvant déboucher, après de nombreuses dizaines d'heures, sur de véritables "quintessences" appartenant au domaine de l'étude artistique. Les trouvailles un peu magiques de Grigoriev, Mandler, Moravec, Kérès, Rinck, Réti, etc., ont de quoi séduire tout amateur d'Echecs, et faire réfléchir les détracteurs, s'il en était, de cet "art terminal" qui en définitive, ne refroidit que ceux qui déjà sont de glace.


Remarquons aussi que cet aspect de la création est totalement imperméable à la mode. Un manuel sur les ouvertures doit, au bout de dix ans, être profondément remanié, voire complètement réécrit. Un traité sur les finales est utile "à vie", il pourra être enrichi, rarement remis en question. Les connaissances s'ajoutent plus souvent qu'elles ne se détruisent. On imagine mal qu'une "nouveauté théorique", si brillante soit-elle, puisse reléguer au musée dix pages de variantes, comme c'est le cas en matière de théorie des ouvertures. S'il est vrai que la complexité de certaines positions (qui ont vu, depuis des années, se succéder analyses et contre-analyses) laisse subsister quelques énigmes, et que l'appréciation donnée par l'Ordinateur, sans toujours être humainement accessible, a modifié quelques préjugés, la théorie est, pour l'essentiel, définitivement acquise. 


L'ultime argument contre l'étude des finales est l'absence de livres spécialisés. Il est vrai que l'horizon "finalistique" français est plutôt désertique, depuis que l'excellent livre d'André Chéron est épuisé ; quant à son remarquable "Lehr-und Handbuch der Endspiele" en quatre volumes, il n'a jamais été traduit. Tout au plus, trouve-t-on quelques chapitres "finales" dans certains manuels généraux, et un ou deux livres pour débutants. Le présent ouvrage s'efforce donc de remédier à cette situation. Il est conçu à l'usage des joueurs de tous niveaux :


-- le débutant lira sans difficulté le chapitre 1 et les premiers exemples des autres chapitres (il lui est demandé la simple connaissance des règles du jeu ; la notation "algébrique" des coups s'apprend en quelques minutes, et devient assez vite familière). Il pourra poursuivre sa lecture calmement, sans craindre de relire plusieurs fois certains passages, pour une bonne assimilation ;

 

-- le joueur confirmé trouvera ici le bagage essentiel pour ne plus avoir peur des simplifications de matériel, ce qui ne manquera pas d'améliorer ses résultats en parties amicales ou en tournoi, tout en lui faisant découvrir un domaine que, peut-être, il sous-estimait ;

 

-- le maître, enfin, sera attiré par des analyses rénovées de certaines positions déjà publiées (dans des livres plus anciens, ou dans des revues) et par certaines recherches inédites. Il ne lui sera d'ailleurs pas interdit de relancer le débat en prolongeant, voire réfutant, ces analyses.


 

Je dois beaucoup aux grands-maîtres ou artistes de la fin de partie, passés et présents, qui m'ont en quelque sorte empêché de "mourir idiot" : Paul Kérès, le "gentleman de Tallinn" qui, non content de se maintenir pendant 40 ans parmi les trois meilleurs joueurs du monde, fut à la fois joueur d'attaque, grand pédagogue et compositeur d'études. Mentionnons l'érudition fantastique de Yuri Averbach, le merveilleux "Rook endings" de V. Smyslov et G. Löwenfisch, la clarté exceptionnelle du professeur Siegbert Tarrasch, enfin l'extraordinaire Mark Dvoretzky, qui a donné le goût de l'analyse approfondie à toute une génération de joueurs, et ragaillardi ceux qui osaient se dire "blasés" des Echecs.

 

Tous ces gens, et ceux que j'ai oubliés, ont contribué à démontrer que, dans le monde enchanté de la fin de partie, la beauté existe (le lecteur, je le souhaite, la rencontrera dans ce livre), et à confirmer les propos du poète anglais John Keats : "La beauté est la vérité, la vérité est la beauté ; c'est tout. Il n'y a rien d'autre à savoir."

 

A. V.